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Texte de Suzy Platiel concernant le conte dans l'éducation de nos enfants
Envoyé par: mathilde pommier (---.ipv6.abo.wanadoo.)
Date: Thu 13 October 2022 13:51:37

En qutre pages, Suzy Platiel donnt l'essentiel sur ce sujet qu'elle a creusé durant près de cinquante ans. Le formatage a disparu, ce blog n'aimant n'utilisant ni gras ni italiques. Cela rend la lecture plus difficile. Mais le raisonnement, l'observation sont toujours là.


LE CONTE À L'ÉCOLE : POURQUOI ? COMMENT ?
Suzy Platiel

Je commencerai par vous citer Amadou Hampâté Bâ :
" Le conte est un outil précieux d'éducation, de loisir et de rassemblement.
Et lorsqu'il manque dans votre société, vous devez vous en créer. "

Pour moi, cette définition ne correspondait que très partiellement à ce que je croyais être
la fonction du conte. Car si, pour les adultes, la parole du conte qui nous est revenue après une très longue période de sommeil pour satisfaire notre mal d'être dans ce monde déshumanisé, est en effet redevenu "un outil précieux ... de loisir et de rassemblement", je ne voyais pas du tout comment il pouvait être aussi pour eux "un outil précieux d'éducation". Et pour les enfants, le conte n'était d'abord que ce qu'ils réclamaient le soir à leurs parents avant de s'endormir ; puis, un peu plus tard, il était devenu ce que grand-mère nous racontait et, encore un peu plus tard, il était devenu le livre avec des images que maman nous lisait et que nous allions ensuite raconter à notre poupée en tournant les pages, Puis, après la rentrée à l'école primaire, le conte n'existait plus.

Ce n'est donc qu'arrivée chez les Sanan en 1967 que j'ai retrouvé les contes, en enregistrant et transcrivant dans leur langue la quantité nécessaire pour pouvoir faire l'analyse de cette langue – phonologie, morphologie, grammaire, syntaxe – afin que, comme me l'avait demandé le Ministre de l'Éducation, les Sanan, qui étaient restés de tradition exclusivement orale, puissent apprendre à lire et à écrire dans leur langue. Pendant deux ans (Décembre 1967/Décembre 1969), j'ai donc fait ce travail en partageant leur vie avec mon époux artiste-graveur et je suis revenue en France avec 154 contes pour poursuivre mon travail. Je ne le décris pas ici car il n'a rien à voir avec la fonction éducative du conte.
Par contre, il faut que je vous précise comment j'en suis arrivée, seulement à la troisième étape, à découvrir qu'effectivement le conte pouvait être aussi "un outil précieux d'éducation".

PREMIÈRE ÉTAPE – Juillet/Décembre 1971 : je reviens pour vérifier la grammaire et la syntaxe du San et je découvre qu'en seulement un an et demi, leur mode de vie que nous avions partagé et apprécié pendant deux ans [Déc. 1967 – Déc. 1969 – NdR] était en train de se modifier profondément pour se rapprocher du nôtre.
C'est pourquoi je décide, qu'une fois mon travail de linguiste achevé, je reviendrai chez eux pour, avant qu'elle ne disparaisse, approfondir la connaissance de leur organisation.

DEUXIÈME ÉTAPE – Mars 1973 : Très bref séjour car, étant venue à Ouagadougou pour faire une conférence à l'Université, je ne suis venue à Toma que pour dire bonjour à mes amis et voir comment ils réagissaient à la décision du gouvernement qui avait décidé qu'étant donné la quantité de langues différentes dans le pays (plus de 60), la langue officielle serait le français (ce qui faisait que, d'une certaine façon, mon travail ne servirait pas à grand chose).
De ce qu'ils m'en dirent, cette décision ne leur semblait pas très importante ; à leurs yeux, le résultat ne serait pas très différent de ce qu'ils avaient vécu du temps de la colonisation.
Donc la décision que j'avais prise en 1971 : me dépêcher de finir mon travail, soutenir ma thèse et revenir chez eux pour approfondir mes connaissances sur leur organisation afin d'en faire une publication, apparut encore plus nécessaire.

TROISIÈME ÉTAPE : J'ai donc soutenu ma thèse en mars 1974. En janvier 1975, j'arrive à Toma pour faire ce que j'avais prévu.
Mais au bout de trois jours, je découvre que, depuis mon arrivée, il n'y avait pas eu de soirée conte après le repas dans l'une quelconque des concessions du village. Certes, entre-temps, il avait été décidé la scolarisation obligatoire des enfants à partir du CP, avec le français comme langue de communication. Mais, d'une part, à Toma, aucune école n'était encore installée, d'autre part les contes ne se racontaient que la nuit alors que la présence à l'école se limitait au matin et à l'après-midi. Aussi je ne voyais pas ce qui pouvait expliquer cette absence de soirées contes en pleine saison sèche [saison où on contait ].

Alors, un soir, comme j'étais en train de bavarder avec un groupe de vieux copains (entre- temps, avec mon travail sur la langue, j'avais appris à me débrouiller en San), je leur ai demandé :
Mais pourquoi ni vous ni les jeunes qui sont sur la terrasse, ne racontez-vous plus de contes le soir ?
Ils m'ont aussitôt répondu :
Mais tu vois bien que ça ne sert plus à rien.
Et comme je n'arrêtais pas de leur dire que je ne voyais pas du tout pourquoi "ça ne servait plus à rien" d'occuper ses soirées en se racontant des contes, au bout d'un moment, voyant que je ne comprenais vraiment pas pourquoi "ça ne servait plus à rien", l'un d'eux m'a dit :
Tu as raison, les contes, ils servent aussi à apprendre aux enfants "la maîtrise de la parole" et aux adultes "à s'en souvenir".

Or, étant donné ce que les contes représentaient pour moi, cette dernière réponse ne me permettait pas du tout de comprendre la première. En revanche, elle renvoyait clairement à ce qu'en avait dit Amadou Hampâté Bâ : "Le conte est un outil précieux d'éducation".
Il fallait donc que je découvre comment le conte pouvait avoir cette fonction éducative qui nous était tout à fait étrangère.

Aussi j'ai cessé d'insister auprès d'eux et, de retour à Paris, un mois plus tard, j'ai repris mes contes, et j'ai commencé en allant au plus simple pour une linguiste : voir comment la structure des contes pouvait permettre à l'enfant d'acquérir "la maîtrise de la parole".
Et qu'est-ce que j'ai très vite découvert ? Que pour leur structure - la syntaxe – tous les contes s'organisent en fonction de la conclusion à laquelle on veut aboutir, dans une succession de relations de cause à conséquence selon les deux seuls modèles possibles, ceux qu'à l'école nous apprenons :
soit en faisant une rédaction : relation de cause à conséquence, une action menant obligatoirement à une conséquence qui elle-même va entraîner une autre conséquence, qui..., qui..., jusqu'à la conclusion. (Ex. Le Petit Chaperon rouge)
soit en faisant une dissertation (thèse/antithèse/synthèse) : présentation de deux comportements ou deux points de vue opposés, la conclusion valorisant l'un des deux (Ex. Cendrillon).
C'est en apprenant ces mécanismes de raisonnement logique inscrits dans le déroulement du conte que l'enfant va apprendre à penser. De plus, avec le conte, son raisonnement logique se développe à travers une parole organisée en discours, ce qui correspond à un mode de raisonnement synthétique, et non pas à travers l'écriture et donc la structure de la phrase qui, elle, correspond à un mode de raisonnement analytique.

Et comme l'enfant ne se contente pas d'écouter mais, au contraire, conte à son tour dès l'âge de 4 ans, il développe sa faculté d'écoute, de mémorisation, ainsi qu'une bonne "maîtrise de la parole" et un enrichissement de son vocabulaire.
Ainsi, avant cinq ans, l'enfant aura déjà acquis, dans le plaisir et inconsciemment, toutes les bases de ce dont il a besoin pour apprendre à "maîtriser la parole".

Mais la phrase du vieux ne s'arrêtait pas à ça. Il avait aussi ajouté : "et aux adultes à s'en souvenir". Amadou Hampâté Bâ ne s'est pas limité aux enfants en disant que "le conte est un outil précieux d'éducation". Donc, pour l'enfant, le conte sert à autre chose qui, comme vous allez le voir, va lui servir à devenir un être humain accompli "et aux adultes à s'en souvenir".
Cette deuxième recherche m'a pris beaucoup plus de temps car, cette fois, j'ai travaillé sur les traductions en français de mes 336 contes et j'ai découvert ce dont les adultes doivent se souvenir et ce que les enfants ont à apprendre : comment il faut agir pour être bien intégré dans sa communauté.

Pour conclure, j'aimerais tenter de préciser de quelle façon le conte contribue à mettre en place et à développer les trois composantes spécifiques à notre espèce qui imposent à chacun de nous de savoir être à la fois :
un être humain semblable à tout autre membre de cette sous-espèce mammifère
un être social membre du groupe dont il fait partie
et un individu unique par son ADN et la façon dont il a su développer son raisonnement logique, son intelligence et sa créativité.

ÊTRE HUMAIN : par la spécificité du genre
Les caractéristiques propres au genre conte font du conteur un passeur, ce qui lui permet l'appropriation et le désir de conter les contes que l'on a aimé, ce qui va contribuer à développer chez l'enfant un sentiment de solidarité à l'égard de "l'autre", à travers la conscience et le plaisir du partage, sans aucun sentiment de compétitivité puisque tout auditeur peut, comme lui, s'approprier le conte qu'il a aimé, non pas pour lui-même, mais pour le plaisir de faire partager ce même plaisir à d'autres, en contant à son tour.

ÊTRE SOCIAL : par ses messages
Tandis qu'à travers les actions des héros auxquels l'enfant s'identifie, le conte lui permet la plongée dans le rêve et l'imaginaire dont il a besoin à cet âge pour développer sa créativité, les vrais messages des contes, qui sont le plus souvent non exprimés clairement, vont lui transmettre, sous une forme ludique et sans qu'il en soit vraiment conscient, les codes de fonctionnement qu'il doit apprendre à respecter pour bien s'intégrer dans sa communauté.

ÊTRE INDIVIDU : par sa structure
Faisant suite au début de l'acquisition du langage chez le tout jeune enfant, à travers les berceuses, les jeux de doigts, les comptines et les chansons, le conte écouté et conté par l'enfant, va lui permettre, à travers sa syntaxe, de mettre en place et de développer progressivement les structures cognitives essentielles à l'acquisition de "la maîtrise de la parole" et, par conséquent, du langage.
La construction discursive de type soit linéaire (succession de relations de cause à conséquence), soit en miroir (conséquence à déduire de l'opposition du comportement de deux héros) vont l'aider à apprendre à construire un discours et à mieux développer son raisonnement logique et son intelligence tout en préservant sa créativité.


J'ai commencé par une citation d'Amadou Hampâté Bâ, je terminerai par une citation d'une femme peule nomade du Niger :
"L'homme a un souffle de vie, la bête aussi. L'homme a un cœur, la bête aussi a un cœur. Et quand le souffle sort avec la mort, l'homme et la bête ne sont plus rien. Mais l'homme vaut plus que la bête parce que l'homme est quelqu'un à qui on peut adresser une parole et quelqu'un qui peut exprimer sa parole ... l'homme c'est la parole."
Puis plus loin elle donne une sorte de définition de la parole :
"L'homme peut tout faire avec sa parole ... La parole de l'homme sort du cœur. C'est dans le cœur qu'elle mûrit, qu'elle cuit. C'est dans le cœur qu'elle grandit. La parole de l'homme appartient au cœur et non à la bouche. Si la parole n'appartenait plus au cœur, ce serait la folie ... Qu'est-ce que la folie ? Sinon le fait que la parole ne suit plus le cœur, que la parole n'appartient plus au cœur ? L'intelligence aussi est du côté du cœur ... Mais l'intelligence est instable ..."
(Angelo Maliki – "Bonheur et souffrance des peuples nomades du Niger"
Édicef, 1984, pp. 36-39)

Paris – Octobre 2022

Re: Texte de Suzy Platiel concernant le conte dans l'éducation de nos enfants
Envoyé par: Contadiralire (---)
Date: Thu 13 October 2022 21:22:40

merci Hélène


Diroulire : retrouvez moi maintenant sur [diroulir.blogspot.fr] c'est la suite de "contadiralire".



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