Tiens, c'est curieux, ce sujet...
Il contient plusieurs sujets en un, en fait.
•• "Théâtre d'improvisation"..? Moi, je n'appelle pas ça du théâtre, sans aucunement médire de la valeur et des qualités des comédiens qui se soumettent à ce genre d'exercice: c'est très fort, comme travail, mais ça n'a pas grand-chose à voir avec le "théâtre" proprement dit... En général, c'est classé sous l'étiquette "match" plutôt que "spectacle de théâtre". On appelle ça un "spectacle" si on veut, mais c'est du "divertissement" (l' "entertainment" des Américains) plutôt que du "théâtre" au sens propre. (En plus, même si tu peux ficeler une histoire qui tient debout, ça ne va pas chercher bien haut au niveau littéraire et intellectuel, si je puis me permettre.)
•• En ce qui concerne le conte, il y a chez certains conteurs une part d'impro (puisqu'en principe nous ne faisons pas de "par coeur"), mais qui est très balisée par le conteur lui-même. En effet, un "conte", ce n'est pas n'importe quelle histoire qu'on invente comme ça... C'est quelque chose qui a été TRANSMIS depuis souvent des siècles, voire des millénaires, avec la plupart du temps une adaptation permanente au langage de l'époque où on le raconte, aux moeurs et aux pratiques de ce temps.
Tu peux improviser sur l'histoire, mais tu ne peux pas l'inventer - sinon, si "cohérente et intéressante" qu'elle puisse être, ce n'est pas un "conte" mais une forme de création (littéraire, éventuellement) dont tu peux peut-être espérer que dans une centaine d'années elle aura tellement été répétée, modifiée, déformée, assimilée, qu'elle sera passée au statut de "littérature orale", mais tu ne seras plus là pour le voir.
•• Par ailleurs, RIEN ne t'empêche, au cours d'un spectacle, de changer d'avis sur les contes que tu voulais raconter et d'en conter d'autres. C'est ta liberté absolue. Mais tes contes, tu les auras travaillés avant, et tu en auras tiré ce que tu pourras considérer comme leur "essence" (encore un mot à polémiques: disons "une certaine quantité d'éléments à teneur symbolique"), ce qui te permettras de les raconter QUAND tu veux et dans des occasions qui te semblent appropriées.
Ce qui peut donner au public l'impression, en effet, que tu improvises. Mais...
•• L'improvisation, c'est une pratique qui demande, comme le reste, un travail spécifique. Les comédiens de "Commedia dell'Arte" sont de grands improvisateurs - que ce soit en troupe ou en solo (plus rare) -, mais ils travaillent sur des "canevas" et donnent, eux, réellement un spectacle de théâtre, mais ça n'a rien à voir avec de l'impro "sur le tas".
C'est sous cet éclairage qu'on peut le rapprocher du travail d'impro possible dans le conte.
Je dirais que d'après ce que j'ai vu de M. Pellicane, son travail est proche de ça aussi. Mais pour moi c'est plus du "one man show" que du conte, même si elle travaille à partir de sujets de contes. Et concernant l'exemple que tu cites, c'est le musicien qui improvise, en l'occurrence...
•• Il y a une autre proximité entre la CDA et le conte, c'est le rapport au public. Autant il est convenu dans le théâtre "conventionnel" d'ignorer le public, autant en CDA et chez les conteurs le public fait partie de l'environnement dont on ne peut pas ignorer la présence (sans public, pas de conteur... )
•• Dans une "veillée" de contes, les gens qui viennent pour conter ne savent pas forcément ce qu'ils vont raconter, ou plutôt ils ont prévu un certain nombre d'histoires qu'ils pourront éventuellement raconter, mais si ça se trouve, ils raconteront autre chose, parce que le "conteur" précédent les aura mis sur une autre "piste"... Et là tu as intérêt à avoir un bon répertoire.
•• Enfin, je voudrais juste rappeler que le conte, c'est avant tout la transmission d'un patrimoine, d'un savoir, et que nous sommes là pour remplir cette fonction. Et il ne faut pas croire qu'on est "coincé" dans des schémas rigides, ou comme on le croit trop souvent "réac". Bien au contraire (est réac le conte conté par un conteur réac). Tu creuses, et tu trouves du sens bien au-delà des apparences. Conter est un choix, pourquoi ne pas l'assumer?
•• Après si tu veux faire du "théâtre d'improvisation", tu peux partir d'une trame de conte, mais si tu fais du théâtre avec (ou tout ce que tu veux

), n'appelle pas ça du conte... C'est autre chose, qui a parfaitement le droit d'exister, mais le conte aussi a le droit d'exister et dans des formes qui conviennent à sa pérennité.

A force de tout mélanger, on finit par faire de la soupe, et le public se lasse de ne pas trouver ce qu'il vient chercher. S'il veut du théâtre, il cherchera "théâtre" dans les programmes. Et il espère voir un spectacle qui répond à des critères considérés comme "théâtraux".
S'il veut un match d'improvisation, il cherchera ça.
Et s'il veut du conte, il cherchera "conte". Et s'il se trouve devant quelqu'un qui lui sert un truc où il ne se retrouve pas, il dira "c'est pas du conte" et au bout de 2 ou 3 fois, il arrêtera d'aller voir des "conteurs" parce qu'il n'aura plus confiance, alors que c'est juste un problème de VOCABULAIRE.
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Ani Boquillon * conteuse * (entre autre : détails sur demande !)
